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#Chapitre 9

Ce chapitre est dédié à Compass Books/Books Inc, la plus ancienne librairie de l’ouest des USA. Ils ont des officines à travers toute la Californie, à San Francisco, Burlingame, Mountain View et Palo Alto, mais le mieux de tout ça s’est qu’ils font tourner une librairie qui tue tout en plein milieu du Disneyland’s Downtown Disney à Anaheim. Je suis un grand fan des parcs Disney (voyez mon premier roman, “Down and Out in the Magic Kingdom”, si vous ne me croyez pas), et à chaque fois que j’ai vécu en Californie, je me suis acheté un abonnement à l’année pour Disneyland, et à pratiquement chaque visite, je passe chez Compass Books à Downtown Disney.  Ils gardent une sélection brillante de livres non-officiels (et même critiques) sur Disney, ainsi qu’une grande variété de livres pour enfants et de science fiction, et le café d’en face fait un capuccino qui arrache.
Compass Books/Books Inc

Il était tellement furieux que j’ai cru qu’il allait éclater. Vous vous souvenez quant j’ai dit que je ne l’ai que rarement vu perdre son calme ? Cette nuit-là, il l’a perdu plus que jamais avant.
— “C’était incroyable. Ce flic, il devrait avoir dix-huit ans et il me répétait ‘mais monsieur, pourquoi vous êtes-vous rendu à Berkeley hier si vos clients sont à Moutain View ?’ Je n’ai pas arrêté de lui expliquer que je donne de scours à Berkeley, et là il disait, ‘ je croyais que vous étiez consultant’, et ça repartait à zéro. On aurait dit une espèce de série télé où les flics auraient été soumis à un Rayon Crétinisant. Le pire c’est qu’il insistait pour dire que j’avais été à Berkeley aujourd’hui, et je lui disait que non je n’y avait pas été, et il disait que si. Et là il m’y montré ma facture de FasTrak et elle prétendait que j’avais traveré le pont de San Mateo trois fois ce jour-là ! Et ça n’est pas tout, ” a-t-il poursuivi, inspirant profondément, signe qu’il était vraiment hors de lui. “Ils avaient des informations sur où j’ai été, y compris des endroits où il n’y a pas de payages. Ils ont interrogé mon passe dans la rue, au hasard. Et c’était tout faux ! Bordel de merde, non seulement ils nous espionnent tous, mais ils ne sont même pas compétents !

Je m’étais retiré dans la cuisine pendant qu’il râlait, et maintenant je l’observais dans l’encardement de la porte. Maman a rencontré mon regard et nous avons tous les deux levé les sourcils comme pour dire, lequel de nous deux va lui dire “on te l’avait bien dit” ? Je lui ai fait un signe de tête. Elle pourrait utiliser ses super-pouvoirs matrimoniaux pour annuler sa rage, quelque chose qui n’était pas à la portée d’une simple unité filiale.
— “Drew”, a-t-elle dit, et elle lui a attrapé le bras pour l’empêcher d’arpenter la cuisine dans tous les sens en agitant les bras comme un prêcheur des rues.
— “Quoi ?”, a-t-il demandé d’un ton cassant.
— “Je crois que tu dois des excuses à Marcus”. Elle a maintenu sa voix calme et égale. Papa et moi sommes les gravillons de la maison — Maman est un vrai roc. Papa m’a regardé. Il a plissé les yeux en réfléchissant pendant une minute.
— “D’accord”, a-t-il dit finalement. “Tu as raison. Je parlais d’une surveillance compétente. Ces types sont de vrais amateurs. Je suis désolé, fils. Tu avais raison. C’était ridicule.” Il a présenté sa main et a serré la mienne, puis m’a fait une accolade ferme et inattendue. “Mon Dieu, qu’est-ce que nous sommes en train de faire de ce pays, Marcus ? Ta génération mérite d’hériter de quelque chose de meilleur que ça. ” Alors il m’a laissé aller.
Je voyait des rides profondes sur son visage, des rides que je n’avais jamais remarquées. Je suis retourné à ma chambre pour jouer à quelques jeux Xnet. Il y avait un bon truc multijoueurs, un jeu de pirates mécaniques où vous deviez effectuer des quêtes tous les jours ou deux pour remonter les ressorts de votre équipage pour pouvoir retourner piller et voler. C’était le genre de jeux que je déteste mais que je n’arrive pas à m’empêcher de jouer : des tas de quêtes répétitives qui ne sont même pas tellement satisfaisantes à accomplir, un petit peu de combat entre joueurs (à se chamailler pour savoir qui prendrait commande du navire) et quelques casse-têtes pas si nombreux que ça qu’il fallait résoudre. Pour l’essentiel, jouer à ce genre de jeux me donnait la nostalgie de Harajuku Fun Madness, qui avait un bon équilibre entre vadrouiller dans le vrai monde, résoudre des énigmes en ligne, et faire de la stratégie avec votre équipe. Mais pour l’heure, c’était juste ce dont j’avais besoin. De l’amusement sans intelligence. Mon pauvre Papa. C’est moi qui lui avais fait ça. Il avait été heureux, sûr que l’argent de ses impôts servait à le défendre. J’avais détruit sa confiance. C’était une fausse confiance, bien sûr, mais elle l’avait aidé à vivre.  En le voyant maintenant, misérable et brisé, je me demandais s’il valait mieux être conscient et désespéré, ou vivre dans le paradis des imbéciles. Cette honte — la honte que j’avais ressentie depuis que j’avais donné mes mots de passe, depuis qu’ils m’avaient brisé — est revenue, me laissant sans énergie avec le seul désir de m’éloigner de moi-même.

Mon personnage était un matelot sur le navire pirate Zombie Charger, et il s’était déchargé pendant que j’étais resté hors ligne. Je devais demander par messagerie instantanée que quelqu’un sur mon navire me remonte. Ca m’a occupé un moment. J’avais bien ça, en fait. Il y a quelque chose de magique à voir un complet inconnu vous rendre un service. Et comme c’était Xnet, je savais que tous ces étrangers étaient des amis, en un sens.
> Tu es dou ?
Le personnage qui me remontait s’appelait Lizanator, et était une fille, encore que ça ne veuille pas dire que le joueur en était une. Les garçons ont une curieuse tendance à jouer des personnages féminins.
> San Francisco, j’ai dit
> non idio, tes dou a San Fran ?
> Pourquoi, tu es pédophile ?
Normalement, ça suffisait à changer de sujet de conversation. Bien entendu chaque jeu était plein de pervers et de pédophiles, et aussi de flics qui faisaient les appâts à pédophiles et à pervers (encore que j’espérais bien qu’il n’y avait pas de flics sur Xnet !). Une accusation de ce genre suffisait normalement à changer de sujet, neuf fois sur dix.
> Mission? Potrero Hill? Noe? East Bay?
> Remonte-moi juste, k, mrc.
Elle s’est arrêtée de remonter.
> Tas peur ?
> Ca va, pourquoi tu t’intéresses ?
> juste curieuse.
Je la trouvais louche. C’était clairement plus que de la curiosité. Vous pouvez appeler ça de la paranoïa. Je me suis déconnecté et j’ai éteint ma Xbox.

Papa m’a lancé un regard par-dessus la table le lendemain matin et a dit “On dirait que les choses vont s’améliorer, au moins”. Il m’a passé un exemplaire du Chronicle ouvert à la page trois.
> Un porte-parole du Département de la Sécurité Intérieure a confirmé que le bureau de San Francisco a demandé une augmentation de budget et de personnel de 300 pourcents à Washington.
Quoi ?
> Le général de corps d’armée Graeme Sutherland, officier resposable des opérations du DSI pour le nord de la Californie, a confirmé cette demande à une conférence de presse hier, en mentionnant qu’une augmentation brutale de l’activité suspecte dans la zone de la Bay a motivé la demande. “Nous surveillons un pic de communications et d’activité clandestines et nous pensons que des saboteurs créent délibérément de fausses alertes de sécurité pour nous mettre des bâtons dans les roues. “
J’ai louché. Sans blague.
> “Ces fausses alertes pourraient constituer des “leurres radar” visant à camoufler de vraies attaques. La seule façon efficace de les combattre est d’augmenter notre personnel de bureau et d’analyse pour pouvoir enquêter à fond sur chaque piste”.
> Surtherland a remarqué que les contretemps subis dans toute la ville était “malheureux” et s’est engagé à les éliminer.
J’ai eu une vision de la ville avec quatre ou cinq fois plus d’agents du DSI, rameutés pour répondre à mes propres idées stupides. Van avait raison. Plus je les combattais, pire les choses allaient tourner.

Papa a montré le journal du doigt.
— “Ces types sont peut-être des imbéciles, mais au moins ce sont des imbéciles systématiques. Ils vont juste augmenter leurs ressources jusqu’à ce qu’ils résolvent ce problème. C’est possible, tu sais. Exploiter toutes les données de la ville, suivre chaque piste. Ils finiront par attraper les terroristes. ” J’ai perdu mon calme.
— “Papa ! est-ce que tu entends ce que tu dis ? Ils parlent d’enquêter sur pratiquement chaque personne dans la ville de San Francisco !”
— “Oui”, il a fait, “c’est exact. Ils vont attraper chaque escroc, chaque trafiquant de drogue, chaque sale type et chaque terroriste. Attends un moment. Ca pourrait bien être la meilleure chose qui soit arrivée à ce pays.
— “Dis-moi que tu plaisantes”, ai-je dit. “Je t’en supplie. Tu penses que c’est pour ça qu’on a écrit la Constitution ? Qu’est-ce que tu fais de la Déclaration des Droits ?”
— “La Déclaration des Droits a été écrite avant qu’on fasse de la fouille de données informatisée. ” A-t-il répondu. Il était terriblement serein, convaincu d’avoir raison.
— “Le droit à la liberté d’association est une bien belle chose, mais pourquoi est-ce qu’on ne devrait psa autoriser la police à fouiller les réseaux sociaux pour voir si vous passez votre temps libre avec des gangsters et des terroristes ?”
— “Parce que c’est une violation de la vie privée !”, ai-je fait.
— “Mais qu’est-ce que ça fait ? Tu préfères avoir ta vie privée ou des terroristes ?” Arg. Je détestais débattre comme ça avec mon père. J’avais besoin d’un café.
— “Allons, Papa. Démanteler la vie privé, ça n’attrape pas de terroriste. Ca ennuie juste les gens normaux. “
— “Comment tu sais qu’ils n’attrapent pas de terroristes ?”
— “Où seraient ces terroristes qu’ils auraient attrapés ?”
— “Je suis certain qu’on verra des arrestations bientôt. Attends un peu. “
— “Papa, qu’est-ce qui t’es arrivé depuis la hier soir ? Tu aurais atomisé ces flics qui t’ont arrêté –”
— “Ne me parle pas sur ce ton, Marcus. Ce qui m’est arrivé depuis hier soir, c’est que j’ai eu l’occasion de repenser à tout ça et de lire ça. ” Il a secoué le journal. “La raisons pour laquelle ils m’ont attrapé, c’est qu’il y a des sales types qui les brouillent activement. Ils faut qu’ils ajustent leurs techniques pour surmonter ce brouillage. Mais ils vont y arriver. D’ici là, se faire arrêter de temps en temps dans la rue est un prix modique à payer. Ca n’est pas le moment de jouer au petit avocat avec la Déclaration des Droits. C’est le moment de faire des sacrifices pour garder notre ville en sécurité.”
Je n’ai pas pu finir mon toast. J’ai posémon assiette dans le lave-vaisselle et je suis parti pour l’école. Il fallait que je sorte de là.

Les gens de Xnet n’était pas contents de la surveillance renforcée, mais ils n’allaient pas la subir en silence. Quelqu’un a téléphoné à une émission sur KQED et a déclaré que la police perdait son temps, que nous pouvions enrayer le système plus vite qu’ils ne pouvaient le réparer. L’enregistrement était en tête des téléchargements sur Xnet cette nuit-là.
— “Ici California Live, nous parlons à un correspondant anonyme qui nous appelle d’une cabine publique quelque part dans San Francisco. Il a ses propres informations sur les ralentissements que nous avons pu voir en ville cette semaine. Vous êtes en ligne.
— “Ouais, euh, salut, c’est justele début, tu vois ? J’veux dire, genre, on vient juste de commencer, là. Ils peuvent engager un milliard de sales keufs et mettre un barrage à chaque coin de rue. On va tout brouiller ! Et, genre, toutes ces conneries sur les terroristes ? On n’est pas des terroristes ! Ca m’fait trop marrer, ouais ! On brouille le système parce qu’on déteste la Sécurité Intérieure, et parce qu’on aime notre ville. Les terroristes ? Je sais même pas comment on écrit ‘Jihad’. Peace. “
Il avait l’air un parfait idiot. Pas seulement à cause des propos incohérents, mais aussi à cause de sa ventardise. Il avait l’air d’un gamin obscènement content de lui. C’était un gamin obscènement content de lui. Le Xnet s’est enflammé sur cette question. Beaucoup de gens pensaient que c’était idiot d’avoir appelé, d’autres le considéraient comme un héros. Je me suis inquiété à la pensé qu’il y avait probablement une caméra pointée sur la cabine qu’il avait utilisée. Ou un lecteur de RFID qui aurait reniflé son Fast Pass. J’espérais qu’il aurait eu la présence d’esprit d’essuyer ses empreintes digitales de sa monnaie, garder son capuchon, et laisser ses RFID chez lui. Mais j’en doutais. Je me demandais s’il ne recevrait pas de la visite un de ces jours.

J’ai su qu’il se passait quelque chose de sérieux sur Xnet quand j’ai soudainement reçu un million d’e-mails de gens qui voulaient informer M1k3y des derniers évnènements. C’est alors que j’étais précisément en train de lire les aventures de Monsieur Je-sais-pas-écrire-Jihad que ma boite de réception est devenue comme folle. Tout le monde avait un message pour moi — un lien vers un livejournal sur Xnet — un des nombreux blogs anonymes basés sur le système de publication de documents Freenet qu’utilisaient aussi les militant démocrates chinois.
> On a eu chaud.
> Nous étions en train de brouiller l’Embarcado ce soir et on s’amusait à donner à tout le monde une nouvelle clef de voiture, de maison, des Fast Pass ou des FasTrak, dispersant de la fausse poudre à canon. Il y avait des flics partout, mais nous étions plus malins qu’eux ; on est là pratiquement chaque soir et on ne s’est jamais fait prendre.
> Ben cette nuit, on s’est fait prendre. C’était une erreur grossière, nous sommes devenus imprudents et on s’est faits avoir.  C’est un flic en civil qui a attrapé un de mes copains, et ensuite le reste de notre groupe. Ils avaient surveillé la foule depuis un long moment et ils avaient un de ces camions tout près, ils ont emmené quatre d’entre nous mais ils ont raté les autres.
> Le camion était bourré comme une boite à sardines avec toutes sortes de gens, vieux et jeunes, blancs et noirs, riches et pauvres, tous suspects, et il y avait deux flics qui essayaient de nous poser des questions et des flics en civil qui amenaient plus de monde. La plupart des gens essayaient de passer en tête de la file d’attente pour en avoir fini avec l’interrogatoire, alors on en a profité pour se gliser vers l’arrière et on a passé des heures là-dedans, il faisait vraiment étouffant et ça devenait de plus en plus peuplé.
> Vers 8 heures, la relève est arrivée, deux nouveaux flics sont entrés et en engueulé les deux flics qui étaient là et ils étaient genre c’est quoi ce bordel, vous foutez rien du tout là-dedans ou quoi. Ils se sont bien pris la tête, ensuite les deux vieux flics sont sortir et les deux flics neufs se sont assis à leurs bureaux et ont discuté en murmurant pendant un moment.
> Finalement un des deux flics s’est levé et a commencé à brailler TOUT LE MONDE RENTREZ CHEZ VOUS NOM DE DIEU ON A AUTRE CHOSE À FOUTRE QUE DE VOUS CASSER LES PIEDS AVEC DES QUESTIONS SI VOUS AVEZ FAIT DES BÊTISES NE RECOMMENCEZ PAS ET QUE ÇA SERVE DE LEÇON À TOUT LE MONDE.
> Certains encravatés étaient vraiment énervés ce qui était HILARANT parce que genre dix minutes avant ils râlaient parce qu’ils étaient détenus là et maintenant ils étaient super frustrés d’être relâchés, je veux dire décidez-vous, quoi.
> On s’est séparés rapidement et on est rentrés pour écrire tout ça. Il y a des flics en civil partout, je vous dis. Si vous faites du brouillage, ouvrez l’oeil et préparez-vous à courir s’il y a des problèmes. Si vous vous faites attraper essayez d’attendre jusqu’à ce qu’on vous relâche, ils sont tellement occupés qu’il y a des chances pour qu’ils vous laissent simplement partir.
> On les occupe à ce point-là ! tous ces gens dans le camion étaient là parce qu’on les avait brouillés. Alors brouillez !

J’ai cru que j’allais vomir. Ces quatre mômes — de gamins que je n’avais jamais rencontrés — avaient failli disparaître pour toujours à cause de ce truc que j’avais commencé. A cause de quelque chose que je leur avait dit de faire. Je ne valais pas mieux qu’un terroriste.

Le DSI a obtenu ses budgets. Les Président est passé à la télévision avec le gouverneur pour nous raconter qu’il n’y avait pas de pris trop élevé pour la sécurité. Nous avons dû regarder ça le lendemain à l’assemblée de l’école. Mon père a applaudi.Il avait détesté le Président depuis le jour où il avait été élu, avec l’argument qu’il n’était pas meilleur que le précédent et que le précédent avait été un véritable désastre, mais là, la seule chose dont il parlait était à quel point ce nouveau type était décidé et dynamique.
— “Sois gentil avec ton père”, m’a dit Maman un soir après que je suis rentré de l’école. Elle avait travailléde la maison autant qu’il était possible. Maman est spécialiste de déménagements freelance qui aide les Britanniques à s’installer à San Francisco. La High Commission du Royaume-Uni la paye pour répondre à des mails de Britanniques mystifiés de tous le pays qui se complètement perturbés par les coutumes bizarres des Américains. Elle gagne sa vie en expliquant les Américains, et elle me disait que ces temps il valait mieux le faire de chez soi, où il n’y avait pas besoin de vraiment voir des Américains ou de leur parler. Je ne me fais pas d’illusions sur la Grande-Bretagne. L’Amérique peut bien être prête à jeter sa Constitution aux orties chaque fois qu’un Jihadistenous regarde de travers, mais comme j’avais appris dans mon projet indépendant en sous d’Etudes Sociales en neuvième, les Britanniques n’ont même pas de Constitution. Ils ont des lois qui vous feraient des boucles aux poils des orteils : ils peuvent vous garder en prison pendant une année entière s’ils sont vraiment sûr que vous êtes un terroriste mais qu’ils n’ont pas de d’éléments pourle prouver. Maintenant, à quel point est-ce qu’on peut être sûr de soi quand on n’a pas de preuves ? Comment est-ce qu’ils se forgent des certitudes pareilles ? Ils vous ont vu commettre des actes terroristes pendant un rêve particulièrement réaliste ? Et la surveillance en Grade-Bretagne fait paraître l’Amérique comme une bande de joyeux amateurs. Le Londonnien moyen se fait photographier 500 fois par jour, juste en se promenant dans les rues. Chaque plaque minéralogique se fait photographier à chaque coin de rue dans tout le pays. Tout le monde, des banques aux entreprises de transports publics, est enthousiate à l’idée de vous traquer et de vous fliquer s’ils pensent que vous êtes vaguement suspect.

Mais Maman ne l’entendait pas de cette oreille. Elle avait quitté la Grande-Bretagne quand elle était encore au lycée et ne s’était jamais sentie chez elle ici, bien qu’elle eût épousé un garçon de Petaluma et y eût élevé un fils. Pour elle, c’était toujours un pays de barbares, et la Grande-Bretagne serait toujours son foyer.
— “Maman, il  a simplement tort. Toi, entre tous, tu devrais le savoir. Tout ce qui fait de ce pays un grand pays se fait jeter aux orties, et ça lui va très bien. Tu as remarqué qu’ils n’ont pas attrapé un seul terroriste ? Papa raconte tout le temps qu’on a besoin d’être en sécurité, mais il devrait comprendre que la plupart d’entre nous ne se sentent pas en sécurité. Nous nous sentons en danger en permanence.”
— “Je sais bien, Marcus. Crois-moi, je ne suis pas fan de ce qui se passe dans ce pays. Mais ton père est –” Elle s’est étranglée. “Quand tu n’est pas rentré après les attentats, il a pensé –” Elle s’est levée et s’est fait une tasse de thé, ce qu’elle faisait à chaque fois qu’elle se sentait gênée ou déconcertée. “Marcus, nous t’avons cru mort. Tu comprends ? Nous t’avons pleuré pendant des jours. Nous t’imaginions réduit en morceaux, au fond de l’océan. Mort parce que quelques salopards avaient décidé de tuer des centaines d’étrangers, juste pour dire quelques chose.”
J’ai intégré ça lentement. Je veux dire, j’avais compris qu’ils s’étaient inquiétés. Beaucoup de monde était mort dans ces attentats — le dernier bilan tournait autours de quatre mille — et presque tout le monde connaissant quelqu’un qui n’était jamais rentré chez lui ce jour-là. Deux personnes de mon école avaient disparu.
— “Ton père était au bord de tuer quelqu’un. N’importe quoi. Il était comme fou. Tu ne l’as jamais vu dans un état pareil. Je ne l’avais jamais vu comme ça non plus. Il était dément. Il s’assayait à cette table et il jurait continuellement. Des mots atroces, des mots que je ne lui avais jamais entendu dire. Un jour — le troisième jour — quelqu’un a appelé et il était sûr que c’était toi, mais ce n’était qu’un faux numéro et il a lancé le téléphone si fort qu’il s’est désintégré en des milliers de fragments.” Je m’étais demandé pourquoi il y avaitun nouveau téléphone dans la cuisine. “Quelque chose s’est brisé dans ton père. Il t’aime. Nous t’aimons tous les deux. Tu es la chose la plus importante dans nos vies. Je ne pense pas que tu le réalises. Tu te souviens quand tu avais dix ans, quand je suis rentrée à Londres pendant un long moment ? Tu te souviens” J’ai hoché la tête en silence. “Nous étions à deux doigts de divorcer, Marcus. Oh, la raison n’a plus d’importance. C’était juste un mauvais moment, le genre de choses qui arrivent quand des gens qui s’aiment cessent de se prêter attention l’un à l’autre pendant quelques années. Il est venu et il m’a convaincu de revenir pour toi. Nous ne pouvions pas supporter l’idée de te faire ça. Nous sommes retombés amoureux pour toi. C’est pour toi que noussommes ensemble maintenant. ” J’avais la gorge serrée. Je n’avais jamais rien su de tout ça. Personne ne m’en avait jamais rien dit.
— “C’est pour ça que ton père traverse une mauvaise passe en ce moment. Il n’est pas dans son état normal. Ca va prendre un certain temps avant qu’il revienne à nous, avant qu’il redevienne l’homme que j’aime. D’ici là, il faut que nous soyions compréhensifs.”
Elle m’a serré dans ses bras longuement, et j’ai remarqué à quel point ses bras était devenus fins, et comment la peau de son cou était distendue. J’avais toujours vu ma mère jeune, pale, les joues rouges et heureuse, lançant des regards mutins derrière ses lunettes cerclées de métal. Maintenant, elle avait l’air d’une vieille femme. C’est moi qui lui avais fait ça. Les terroristes lui avaient fait ça. Le Département de la Sécurité Intérieure lui avait fait ça. D’une façon perverse, nous étions tous dans le même camps, et Maman et Papa, et tous ceux que nous avions exploités, étaient dans l’autre.

Je n’ai pas dormi cette nuit-là. Les paroles de Maman repassaient dans ma tête. Papa avait été tendu et silencieux pendant le dîner et nous avions à peine parlé, parce que je ne me faisais pas confiance pour ne pas dire le mauvais truc et parce qu’il était tout remonté à cause des dernières nouvelles, selon lesquelles c’était bien Al Qaeda qui était responsable de l’attentat. Six groupes terroristes différents avaient revendiqué l’attentat, mais seule la vidéo Internet d’Al Qaeda dévoilait des informations que le DSI n’avais révélée à personne. Je me suis allongé sur mon lit et j’ai écouté les émissions radio du soir où des auditeurs téléphonaient. Le sujet portait sur des problèmes sexuels, avec ce type homosexuel que j’adorais écouter en temps normal ; il donnait aux gens des conseils crus, mais de bons conseils, et il était vraiment marrant et maniéré. Ce soir-là, je ne riais pas. La plupart des auditeurs posaient des questions sur ce qu’ils devaient faire pour reprendre une vie sexuelle avec leurs partenaires après les attentats. Même sur une radio consacrée au sexe, je ne pouvais pas échapper au sujet. J’ai éteint la radio et j’ai entendu un mateur ronronner en bas dans la rue.

Ma chambre à coucher se situe tout en haut de notre maison, l’une des Vieilles Dames Peintes. J’ai un plafond de grenier, en diagonale, et des fenêtres des deux côtés — l’une domine la Mission tout entière, l’autre donne une vue sur la rue en face de chez nous. Il y avait souvent des voitures qui circulaient à toute heure de la nuit, mais il y avaient quelque chose d’étrange dans ce bruit-là. Je suis allé à la fenêtre de la rue et j’ai tiré les rideaux. En bas, dans la rue, il y avait une camionette blanche, sans marquages, dont le toit était hérissé d’antennes, plus d’antennes que je n’en n’avais jamais vu sur une voiture. Elle roulait très lentement dans la rue, une petit parabole tournant dans tous les sens sur le sommet. Alors que je regardais, la camionette s’est arrêtée et l’une des portes de derrière s’est ouverte. Un type en uniforme du DSI — je les reconnaissait à cent mètres, maintenant — a posé le pied dans la rue. Il tenait un appareil portatif dont la lueur bleutée lui éclairait le visage. Il a fait quelques pas, d’abord vers mes voisins, puis vers moi. Sa façon de marcher et de regarder son écran me rappelait quelque chose — il utilisait un détexteur de WiFi ! Le DSI patrouillait pour repérer les noeuds de Xnet. J’ai lâché les rideaux et j’ai plongé à travers la chambre pour trouver ma Xbox. Je l’avais laissé en ligne le temps de télécharger des animations sympas qu’un des gars de Xnet avait fait à partir du discours “aucun prix n’est trop élevé” du Président. J’ai arraché la prise du mur, et je suis retourné à la fenètre en entreouvrant les stores d’un centimètre à peine. Le type regardait de nouveau son détecteur, en arpentant la rue devant notre maison. Un instant plus tard, il est rentré dans sa camionette et est reparti. J’ai sorti mon appareil pohto et j’ai pris autant de photos que possible de la camionette et de ses antennes. Puis j’ai ouvert GIMP, un éditeur d’images libre, et j’ai tout supprimédela photographie à l’exception dela camionette, effaçant ma rue et tout ce qui aurait pu aider à m’identifier. Je les ai postées sur Xnet et j’ai écrit tout ce que je savais sur ces camionettes. Il ne faisait aucun doute que ces types cherchaient Xnet.

Maintenant, je ne pourrais plus dormir. Rien d’autre à faire que de jouer aux pirates à ressort. Même à cette heure, il y avait plein de joueurs en ligne. Le vrai nom des pirates à ressorts étaient Pillage Mécanique, et c’était un projet de hobbyiste démarré par des adolescents finlandais fans de Death-Metal. C’était totalement gratuit à jouer, et ça fournissait autant d’amusement qu’un service à 15 dollars par mois comme Ender’s Univere, Middle Earth Quest ou Discworld Dungeons. Je me suis loggé et je me suis retrouvé au milieu du pont du Zombie Charger, à attendre que quelqu’un veuille bien me remonter. Je détestais cette partie du jeu.
> Eh, toi
J’ai tapé à un pirate qui passait par là.
> Tu me remontes ?
Il s’est arrêté et m’a regardé.
> Pq je feré sa ?
> On est dans la même équipe. Et ça te donne des points d’expérience.
Quel abruti.
> Tu é dou ?
> San Francisco
Ca commençait à me rappeler quelque chose.
> Ou a SF ?
Je me suis déconnecté. Il y avait quelque chose de bizarre qui se passait avec ce jeu. J’ai regardé les Livejournals et j’ai commencé à éplucher les blogs. J’en avait lu une demi-douzaine quand j’ai trouvé quelque chose qui m’a glacé le sang. Les bloggers adorent les quizz. Quel est ton genre de hobbit ? Es-tu un bon amant ? Quelle planète te ressemble le plus ? Tu serais quel personnage de quel film ? A quel type émotionnel appartiens-tu ? Ils les remplissent et les font remplire à leurs amis, et tout le monde compare les résultats. Amusement sans conséquences. Mais les quizz que je voyais cette nuit-là sur Xnet me faisaient peur, parce qu’ils étaient tous sauf innocents : Quel est ton sexe ? Quel âge as-tu ? Dans quelle école vas-tu ? Dans quel quartier habites-tu ? Les questionnaires faisaient des graphiques sur une carte avec des épingles de couleu rpour les écoles et les quarties, et fournissaient des conseils débiles sur les pizzerias et ce genre de choses. Mais regardez-moi ces questions. Imaginez mes réponses :
Masculin
17 ans
Chavez High
Potrero Hill
Il n’y avait que deux personnes dans toute mon école qui avaient ce profil exact. Dans la plupart des écoles, ça serait pareil. Si vous vouliez savoir qui étaient les gens de Xnet vous pouviez utiliser des quizz pour les identifier l’un après l’autre. C’était déjà une mauvaise nouvelle, mais le pire était ce que ça impliquait : quelqu’un au DSI utilisait Xnet pour nous cibler. Xnet s’était fait infiltrer par le DSI. Il y avait des espions parmi nous.

J’avais distribué les disques de Xnet à des centaines de personnes, et ils en avaient fait autant. Je connaissais assez bien les gens à qui j’avais donné mes disques. J’en connaissait même très bien certains. J’avais vécu dans la même maison toute ma vie et je m’étais fait des centaines et des centaines d’amis au fil des ans : des gens avec qui j’avais été à la crêche aux gens avec qui j’avais joué au football en passant par ceux avec qui j’avais joué à des jeux de rôle grandeur nature, ceux que j’avais rencontré en boîte, et mes camarades d’école. Mes meilleurs amis étaient dans mon équipe de jeu, mais il y avait pléthore de gens en qui j’avais assez confiance pour leur donner un disque de Xnet. J’avais besoin d’eux maintenant. J’ai réveillé Jolu en faisant sonner son téléphone portable et en raccrochant après la première sonnerie, trois fois de suite. Une minute plus tard, il était sur Xnet et nous pouvions tenir une discussion sécurisée. Je lui ai montré mon billet de blog sur les camionettes radio et il est revenu une minute plus tard, tout paniqué.
> tu es sûr qu’ils nous cherchent nous ?
En quise de réponse, je lui ai envoyé le quizz.
> Oh putain on est perdus
> Non c’est pas si terrible mais on doit trouver à qui on peut faire confiance.
> Comment ?
> C’est ça que je veux savoir — combien de personnes tu peux recommander sans réserve comme si tu mettrais ta vie entre leurs mains ?
> Peut-être 20 ou 30.
> Je veux rassembler un groupe de gens vraiment fiables et faire un échange de clefs Web-Of-Trust.

Le Web of Trust est une des ces cool applications de la cryptographie à propos desquelles j’avais lu des choses, mais que je n’avais jamais essayée. C’est une façon à peu près totalement fiable de s’assurer qu’on peut vraiment parler aux gens à qui on fait confiance, mais que personne d’autre ne peut écouter. Le problème, c’est que ça exige de recontrer physiquement les gens du réseau en question au moins une fois, pour commencer.
> Je vois, évidemment. C’est pas compliqué. Mais comment tu vas rassembler tout le monde pour la signature des clefs ?
> C’est ce que je voulais te demander — comment on peut faire ça sans se faire repérer ?
Jolu a tapé quelques mots avant de les effacer, puis en a tapé encore d’autres avant de les effacer aussi.
> Darryl aurait su, ai-je tapé
> C’est même pour ça qu’il était bon.
Jolu n’a rien dit un instant. Puis :
> Si on organisait une fête ? On se rassemble tous comme une bande d’adolescents qui font la fête et comme ça on a une excuse toute prête si quelqu’un débarque et nous demande ce qu’on fout là ?
> Ca marcherait nikel ! Tu es un génie, Jolu.
> Je sais. Et tu vas adorer : je sais où on devrait faire ça
> Où ?
> Sutro baths!