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Chapitre 6 {.calibre1}

Ce chapitre est dédié à Powell’s Books, la légendaire “cité des livres” à Portland, dans l’Orégon. Powell est la plus grande librairie du monde, un univers d’odeurs de papier et d’étagères gigantesques, sans fin, sur plusieurs étages. Ils exposent les livres d’occasion et les livres neufs sur les mêmes étagères — quelque chose que j’ai toujours adoré — et chaque fois que je m’y arrête, ils avaient une véritable montagne de mes livres, et ils ont toujours été incroyablement élégants quand ils me demandent de signer leur stock. Les libraires sont agérables, le stock est fabuleux, et il y a même une sucursale à l’aéroport de Portland, ce qui en fait probablement la meilleure librairie d’aéroport du monde, en ce qui me concerne. Powell’s Books: 1005 W Burnside, Portland, OR 97209 USA +1 800 878 7323

Croyez-le ou non, mes parents m’ont envoyé à l’école le lendemain. Je ne m’était endormi qu’à trois heures, d’un sommeil fiévreux, mais à sept heures du matin, mon père se tenait au pied de mon lit et me menaçait de me traîner par les chevilles. J’ai réussi à me lever — quelque chose était mort dans ma bouche après avoir barbouillé de la peinture sur mes paupières — et à finir dans la douche. J’ai laissé ma mère m’enfourner un toast et une banane, en souhaitant avec ferveur que mes parents me laissent boire du café à la maison. Je pourrais en attaper un subrepticement sur le chemin de l’école, mais les voir siroter de l’or noir pendant que je me traînais à travers la maison, m’habillais et fourrais mes livres dans mon sac — c’était atroce.

J’avais marché jusqu’à l’école des milleirs de fois, mais aujourd’hui c’était différent. J’ai gravis les collines avant de redescendre à la Mission, et partout il y avait des camions. J’ai vu de nouveaux senseurs et des caméras installées sur beaucoup de panneaux de circulation. Quelqu’un avait de grandes quantités d’équipement de surveillance qui traînait, attendant d’être installé à la première occasion. L’attaque sur Bay bridge avait été exactement ce dont ils avaient besoin. Tout cela donnait un air de ville conquise, gênée comme à l’intérieur d’un ascenseur, embarassée par la surveillance serrée des voisins et des caméras omniprésentes.

La boutique de café turc sur la 24ème rue m’a fourni une bonne tasse à emporter. Basiquement, le café turc est de la boue qui fait semblant d’être du café. C’est suffisemment épais pour qu’un cuiller y tienne debout, et contient bien plus de cafféine que les boissons énergétiques du type Red Bull. Croyez-en quelqu’un qui a lu l’article de Wikipédia, c’est comme ça qu’on a taillé l’Empire ottoman : en lâchant des cavaliers déments propulsés à la boue-café noir de jais. J’ai sorti ma carte de débit il le tenancier a tiré la tête.
— “On ne prend plus les cartes de débit”, il a dit.
— “Hein ? Pourquoi pas ?”
J’avais payé mon addiction au café chez le Turc avec ma carte depuis des années. Au début il me cassait les pieds tout le temps en me disant que j’étais trop jeune pour boire ce truc, et il refusait toujours de me servir dans les heures d’école, convaincu que je séchais les cours. Mais au fil des ans, le Turc et moi avions développé une sorte d’entende tacite. Il a secoué la tête tristement.
— “Tu ne comprendrais pas. Va à l’école, gamin.” Il n’y a pas de meilleur manière de me motiver à comprendre quelque chose que de me dire que je n’y arriverai jamais. Je l’ai passé au gril pour qu’il me dise. Il m’a jeté un regard comme s’il allait me jeter dehors, mais quand je lui ai demandé s’il pensait que je n’étais pas assez bien pour acheter dans son magasin, il a craqué.  “La sécurité”, il a dit en regardant autour de lui les tubes de fèves séchées et de graines, et les étagères pleines d’épicerie turque. “Le gouvernement. Ils surveillent tout ça maintenant, c’était dans le journal. Le PATRIOT Act II, le Congrès l’a fait passer hier. Maintenant ils peuvent savoir à chaque fois que tu utilises ta carte. Je refuse. Je déclare que mon magasin ne les aidera pas à espionner mes clients.” J’en suis resté bouche bée. “Tu penses que ça n’est pas grave, peut-être ? Quel problème il y aurait à ce que le gouvernement sache quand tu achètes du café, hein ? Parce que c’est une façon de savoir où tu es, où tu as été. Pourquoi crois-tu que j’ai fuis la Turquie ? Un endroit où le gouvernement espionne tout le temps les gens, ça n’est pas un bon endroit. J’ai déménagé ici il y a vingt ans pour la liberté — je ne les aiderai pas à arracher cette liberté.”
— “Vous allez perdre tellement de clients”, j’ai bredouillé. Je voulais lui dire qu’il était un héros et lui serrer la main, mais c’est tout ce qui est sorti. “Tout le monde utiliser des cartes de débit”.
— “Peut-être plus tellement maintenant. Peut-être que mes clients viennent ici parce qu’ils savent que l’aime la liberté moi aussi. Je fabrique un panneau pour la vitrine. Peut-être que d’autres magasins vont en faire autant. J’ai entendu dire que l’ACLU va leur faire un procès pour cette histoire”.
— “J’achèterai tout chez vous à partir de maintenant”, j’ai dit. Je le pensais vriament. J’ai fouillé mes poches. “Ah, par cotre, je n’ai pas le liquide.” Il a serré les lèvres et hoché la tête.
— “Beaucoup de gens me disent ça. C’est OK. Donne l’argent d’aujourd’hui à l’ACLU.”
En deux minutes, le Turc et moi avions échangé plus de propos que depuis que j’étais entré pour la première fois dans son échoppe. Je n’aurais jamais cru qu’il était si passionné. Pour moi, il était simplement le gentil marchand de café du quartier. Alors je lui ai serré la main et quand j’ai quitté le magasin, j’avais l’impression d’avoir rejoint une équipe. Un club secret.

J’avais raté deux jours d’école, mais il semblait que je n’avais pas manqué beaucoup de matière. L’école avait été fermée pendant le temps que la ville léchait ses plaies. Le lendemain avait été consacré, semble-t-il, à rendre hommage aux morts et aux disparus présumés morts. Les journaux publiaient des biographies des disparus, des cérémonies personnelles. Le Web était plein de ces services funéraires en capsules, il y en avait des milliers. De façon assez gênante, l’un d’entre eux m’était consacré. Ignorant de ce fait, j’ai posé le pied dans la cour de l’école, il y a eu un cri, et en quelques instants des centaines de personnes m’entouraient, me tapaient dans le dos, me serraient la main. Quelques filles que je ne connaissais même pas m’ont embrassé. et c’était plus que des bisous affectueux. Je me sentais comme une star du rock. Mes professeurs ont été à peine plus réservés. Madame Galvez a fondu en sanglots comme ma mère l’avait fait et m’a serré dans ses bras à trois reprises avant de me laisser rejoindre mon bureau et m’asseoir.

Il y avait une nouveauté sur le devant de la salle de classe. Une caméra. Madame Galvez m’a remarqué comme je la fixais et m’a passé un formulaire d’autorisation photocopié sur du papier à lettre de l’école. Le Bureau du district d’éducation unifié de San Fracisco avait tenu une réunion d’urgence pendant le week-end et avait voté à l’unanimité pour demander aux parents de tous les enfants de la ville la permission d’installer des caméras de circuits de télévision fermés dans chaque salle de classe et chaque corridor. La loi spécifiait qu’on ne pouvait pas nous obliger à aller à l’école s’il y avait des caméras partout dans l’établissement, mais elle ne disait rien sur le renoncement volontaire à nos droits constitutionnels. La lettre disait que le Bureau s’attendait à une pleine collaboration de tous les parents de la ville, mais qu’ils prendraient des mesures pour assurer l’éducation des enfants dont les parents objectaient dans des salles de cours “non protégées” séparées.

Pourquoi est-ce que nous avions des caméras dans nos salles de classe, maintenant ? Les terroristes. Bien entendu. Parce qu’en faisant sauter un pont, les terroristes avaient indiqué que les écoles seraient la prochaine cible. En tout cas c’est la conclusion à laquelle le Bureau était arrivé d’une façon ou d’une autre. J’ai lu le formulaire trois fois et j’ai levé la main.
— “Oui, Marcus ?”
— “Madame Galvez, concernant ce formulaire…”
— “Oui, Marcus ?”
— “Ca n’est pas justement le but du terrorisme, de nous faire avoir peur ? C’est pour ça que ça s’appelle terrorisme, n’est-ce pas ?”
— “Oui, j’imagine”. Toute la classe me regardait. Je n’étais pas le meilleur élève de l’école, mais j’aimais bien un bon débat en classe. Ils attendaient ce que j’allais dire ensuite.
— “Alors est-ce que nous ne faisons pas ce que les terroristes veulent que nous fassions ? Ils n’ont pas gagné, si nous nous comportons comme si nous avions peur tout le tmeps et que nous installons des caméras dans les salles de classe, et tout ça ?”. Il y a eu une rumeur. L’un des autres élèves a levé la main. C’était Charles. Madame Galvez lui a donné la parole.
— “Installer des caméras nous protège, et nous n’avons plus besoin d’avoir peur. “
— “Nous protège de quoi ?”, j’ai rétorqué sans même avoir la parole.
— “Du terrorisme”, a repris Charles. Les autres hochaient la tête.
— “Mais comment ? Si un type entrait ici et se faisait sauter avec une ceinture d’explosifs — “
— “Madame Galvez, Marcus viole le règlement. On n’a pas le droit de faire des blagues sur les attentats”.
— “Qui est-ce qui fait des blagues ?”
— “Merci, tous les deux”, a dit Madame Galvez. Elle avait l’air profondément contrariée. J’avais honte d’avoir détourné son cours. “Je pense que c’est une discussion très intéressante, mais j’aimerais la réserver pour une autre leçon. Je crois que ces questions sont trop chargées d’émotions pour que nous en discutions aujourd’hui. Maintenant, revenons-en aux suffragettes, vous voulez bien ?”

Nous avons donc passé le reste de l’heure à parler des suffragettes et des différentes stratégies de lobbying qu’elles avaient mises au point pour introduire quatre femmes dans le chaque bureau de chaque membre de Congrès pour faire pression sur lui et lui faire savoir ce qu’impliquerait pour son avenir politique un refus d’accorder le droit de vote aux femmes. C’était normalement le genre de choses que j’aimais vraiment — les petits qui forcent les grands et les puissants à être honêtes. Mais ce jour-là, je n’arrivais pas àme concentrer. Ce doit avoir été l’absence de Darryl. Nous aimions bien le cours d’éducation civique, tous les deux, et nous aurions démarré nos SchoolBooks avec des sessions de chat quelques secondes après nous être assis, une façon détournée de bavarder pendant les leçons.

J’avais gravé une vingtaine de disques de ParanoidXbox la nuit de la veille et je les avais tous dans mon sac. Je les ai distribués à des gens dont je savais qu’ils étaient vraiment, vraiment mordus de jeux vidéos. Ils avaient tous eu une Xbox Universal ou deux l’année précédante, mais la plupart avait arrêté de les utiliser. Les jeux étaient vraiment chers et pas tellement amusants. Je les ai pris à part entre deux cours, à la cantine et  dans la salle d’étude, et j’ai chanté les louanges des jeux ParanoidXbox à n’en plus finir. Amusant et gratuits — des jeux sociaux où l’on se perdait, avec plein de gens sympas qui y jouaient des quatre coins du monde. Donner une chose pour en vendre une autre est ce que l’on appelle un “modèle commercial des lames de rasoir” — des entreprises comme Gillette vous donnent des rasoirs gratuits et se remboursent en vous facturant de petites fortunes pour les lames. Les cartouches d’imprimantes sont encore pires — le Champagne de plus cher du monde est franchement bon marché si on le compare à l’encre d’imprimante, alors qu’il coûte un centime à produire au litre. Le modèle commercial des lames de rasoir dépend de ce que vous ne puissiez pas vous procurer les “lames” ailleurs. Après tout, si Gillette peut se faire neuf dollars de bénéfice sur une lame de renchange uqi est vendue pour dix, pourquoi ne pas lancer une entreprise concurrente qui ne prendrait que quatre dollars de marge pour les mêmes lames ? Une marge de profit de 80% est déjà quelque chose qui ferait baver le commercial moyen. C’est pourquoi des entreprises rasoir comme Microsoft investissent énormément d’efforts pour rendre la concurrence impossible ou illégale.

Dans le cas de Microsoft, chaque Xbox a eu des contremesures pour empêcher les gens de faire tourner des logiciels publiés par des gens qui n’avaient pas payé leur livre de chair à Microsoft pour avoir le droit de vendre des programmes pour la Xbox. Les gens que je fréquentais n’avaient pas une très bonne opinion de ce genre de choses. Ils ont poussé des hourrah quand je leur ai dit que les jeux n’étaient pas surveillés. De nos jours, n’importe quel jeu en ligne auquel vous pourriez jouer est fréquenté par toutes sortes de fâcheux. Pour commencer, il y a les pervers qui essayent de vous faire sortir de chez vous et venir dans coin perdu pour vous faire des trucs bizarres dans le genre Le Silence des Agneaux. Ensuite, il y a les flics, qui font semblant d’être des gamins influençables pour traquer les pervers. Mais le pire de tout, c’est les modérateurs qui passent leur temps à espionner les discussions et à nous tomber dessus pour des violations de leurs conditions d’utilisations, qui disent pas de flirt, pas de jurons, et pas de “propos insultant ouvertement ou de manière codée tout aspect d’une orientation sexuelle”. Je ne suis pas en permanence un obsédé, mais je suis un garçon de 17 ans. Il arrive qu’on fasse référence au sexe. Mais que Dieu ait pitié de vous si ça arrive dans une conversation pendant un jeu. C’est un motif de bannissement.

Personne ne surveillait les jeux ParanoidXbox, parce qu’ils ne dépendaient pas d’une entreprise : c’étaient juste des jeux que des hackers avaient écrit pour le bonheur de le faire. C’est pourquoi ces fondus de jeux adoraient entendre mon histoire. Ils ont pris possession des disques avec avidité, et m’ont promis de graver des copies pour tous leurs amis — après tout, les jeux deviennent plus amusants quand on y joue avec ses copains.  En rentrant à la maison, j’ai lu qu’un groupe de parents avait porté plainte contre le Bureau d’Education à cause de l’introduction des caméras dans les salles de classe, mais qu’ils avaient déjà perdu leur demande en référé pour les faire retirer.

Je ne sais pas qui a inventé le nom Xnet, mais il est resté. On entendait des gens en parler dans le métro. Van m’a appelé pour me demander si j’en avais entendu parler et je me suis étranglé quand j’ai compris de quoi elle parlait : les disques que j’avais commencé à distribuer la semaine d’avant avaient été passés en contrebande et copiés jusqu’à Oakland en l’espace de deux semaines. Ca me faisait regarder par-dessus mon épaule — comme si j’avais violà une règle et que le Département de la Sécurité Intérieure allait débarquer et m’emmener pour toujours. Ca avait été de dures semaines. Le BART avait complètement abandonné l’argent liquide maintenant, et l’avait remplacé par des cartes RFID “sans contact” qu’on agitait devant les tourniquets pour passer. C’était classe et pratique, mais chaque fois que j’en utilisais une, ça me faisait penser à la façon dont j’étais suivi à la trace. Quelqu’un a posté sur Xnet un lien vers un papier de l’Electronic Frontier Foundation sur la façon dot ces systèmes pouvaient être utilisés pour pister des gens, et le papier contenait des anecdotes sur des petits groupes de gens qui avaient manifesté aux stations du BART.

J’utilisais Xnet pour pratiquement tout, maintenant. Je m’étais fait une adresse mail bidon grâce au Parti Pirate, un parti politique suédois qui détestait qu’on surveille Internet et qui promettait de garder ces comptes mail secrets de tous, même des flics. J’y accédais strictement par Xnet, en sautant de la connection d’un voisin à celle d’un autre, maintenant mon anonymat — je l’espère — jusqu’en Suède. Je n’utilisais plus w1n5ton. Si Benson était capable de deviner, n’importe qui y arriverait. Mon nouveau pseudo, qui m’était venu dans l’inspiration du moment, était M1k3y, et j’avais maintenant quantités de mails de gens qui avaient entendu dire sur des chatrooms ou des forums dediscussion que je pouvais les aider à dépanner leurs configurations et leurs connections Xnet.

Harajuku Fun Madness me manquait. L’entreprise avait suspendu le jeu indéfiniment. Ils disaient que “pour raisons de sécurité” ils pensaient que ce n’était plus une bonne idée de cacher des choses et d’envoyer des gens les chercher. Et si quelqu’un pensait qu’il s’agissait d’une bombe ? Et si quelqu’un mettait une bombe au même endroit ? Et si je me faisait frapper par la foudre en me promenant avec un parapluie ? Interdisons les parapluies ! Combattons la menace des éclairs !

J’utilisais toujours mon ordinateur portable, mais j’avais toujours la chair de poule en le faisant. Ceux qui l’avaient mis sur écoute se demanderaient pourquoi je ne l’utilisais pas. Je me disais que je surferais un peu sur Internet avec, n’importe comment, un peu moins chaque jour, de façon à ce que ceux qui me surveillaient voient me habitudes évoluer lentement, plutôt qu’un changement abrupt. Pour l’essentiel je lisais ces hommages funèbres sinistres — toutes ces centaines d’amis et de voisins morts au fond de la Bay. Pour dire vrai, j’abattais de moins en moins de devoirs chaque jour. J’avais à faire ailleurs. Je gravais des piles de ParanoidXbox chaque jour, cinquante ou soixante, et je les distribuais au quatre coins de la ville aux gens qui étaient prêts à en graver eux-mêmes une cinquantaine pour leurs amis. Je ne m’inquiétais pas trop de me faire attraper à faire ça, parce que j’avais la crypto de mon côté.

La crypto, c’est la cryptographie, ou “l’écriture secrète”, et ça existe depuis les Romains (littéralement : Augustus Caesar en était un grand amateur et aimait bien inventer ses propres codes, dont certains sont encore utilisés de nos jours pour crypter les chutes de blagues dans les e-mails). La crypto, c’est des maths. Des maths solides. Je ne vais pas essayer de vous expliquer en détail prace que je n’ai pas le niveau en maths pour vraiment comprendre, non plus — regardez sur Wikipédia si vous voulez vraiment. Mais voici la version courte : certaines fonction mathématiques sont faciles à calculer dans un sens, et vraiment difficiles dans l’autre sens. Il est facile de multiplier deux grands nombres premiers pour en faire un nombre géant. C’est vraiment, vraiment difficile de prendre un nombre géant et de retrouver de quels nombre premiers il est le produit. Cela veut dire que si vous trouvez une façon de coder un message qui repose sur la multiplication de grands nombres premiers, le décoder sans connaître les nombres premiers en question va être difficile. Diaboliquement difficile. Du genre, un trillion d’années de calcul sur tous les ordinateurs jamais inventés tourant 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, n’y arriveraient pas.

Il y a quatre parties à tout message cryptographique : le message original, qu’on appelle “message en clair”. Le message brouillé, qu’on appelle “message chiffré”. Le système de brouillage, qu’on appelle le “code”. Et finalement il y a la clef : le truc secret que vous donnez à manger à un code, avec le message en clair, pour produire le message chiffré. Dans le temps, les gens qui avaient à voir avec la crypto essayaient de tout garder secret. Chaque agence et gouvernement avait ses propres codes et ses propres clefs. Les Nazis et les Alliés ne voulaient pas que ceux d’en face sachent comment ils chiffraient leurs messages, snas parler des clefs qui servaient à déchiffrer les messages. Ca paraît être une bonne idée, n’est-ce pas ? Eh bien non. La première fois qu’on m’a parlé de cette histoire de factorisation en nombre premiers, j’ai tout de suite dit “Impossible, c’est des conneries. Je veux dire, bien sûr que c’est difficile d’effectuer ce truc factorisation. Mais ça a été impossible de voler ou d’aller sur la Lune, ou d’avoir un disque dur avec un capacité de plus de quelques kilo-octets. Quelqu’un doit avoir trouvé une façon de déchiffrer les messages”. J’entrevoyais des montagnes évidées bourrées de mathématiciens de la National Security Agency en train de lire chacun des e-mails du monde en ricanant. En fait, c’était arrivé pendant la Second Guerre Mondiale. C’est la raison pour laquelle la vie ne ressemble pas plus à Castle Wolfenstein, où j’ai passé bien des jours à traquer les Nazis.

Le truc, c’est que les systèmes de codage sont difficiles à garder secrets. Il y a beaucoup de math qui entre en ligne de compte, et s’il sont utilisés à large échelle, alors tout le monde qui les utilise doit les garder secrets aussi, et si quelqu’un change de camp, vous êtes bon pour trouver un nouveau système. Le système Nazi s’appelait Enigma, et il utilisait un petit ordinateur mécanique appelé Machine Enigma pour chiffrer et déchiffrer les messages qu’ils échangeaient. Chaque navire, chaque sous-marin, chaque station devaient en avoir un, de sorte qu’il était inévitable que les Alliés finissent par mettre la main sur l’une d’entre elles. Quand ils y sont parvenus, ils l’ont crackée. Cette entreprise était dirigée par mon héros personnel, un type nommé Alan Turing, qui a essentiellement inventé l’informatique telle que nous la connaissons aujourd’hui. Malheureusement pour lui, il était homosexuel, aors quand la guerre a été finie, le stupide gouvernement britannique l’a forcé à se shooter aux hormones pourle “guérir” de son homosexualité, et il s’est suicidé. Darryl m’avait offert une biographie de Turing pour mon 14ème anniversaire — emballé dans vingt couches de papier et dans un jouet Batmobile recyclé, il était comme ça avec les cadeaux — et j’avais été un fan de Turing depuis. Maintenant que les Alliés avaient la machine Enigma, ils pouvaient intercepter les messages radio des Nazis, ce n’aurait pas dû être un problème sérieux, puisque chaque capitaine avait sa propre clef. Comme les Alliés n’avaient pas les clefs, la possession de la machine n’aurait pas dû les aider. C’est là que le secret nuit à la crypto. Le système de codage d’Enigma avait un défaut. Quand Turing a regardé sérieusement, il s’est rendu compte que les cryptographes nazis avaient commis une erreur mathématique. En mettant la main sur une machine Enigma, Turing pouvait trouver un moyen de casser n’importe quel message nazi, quelle que soit la clef utilisée.

Ca a fait perdre la guerre aux Nazis. Ne vous méprenez pas, c’est une excellente chose. C’est un vétéran du Castle Wolfenstein qui vout le dit. Vous ne voudriez pas que les Nazis dirigent le pays. Après la guerre, des cryptographes ont consacré beaucoup de temps à réfléchir là-dessus. Le problme avait été que Turing était plus malin que le gars qui avait inventé Enigma. A chaque fois que vous avez un code, vous vous rendez vulnérable à quelqu’un de plus malin que vous qui produirait une technique pour le casser.  Et plus ils y réfléchissaient, plus ils réalisaient que n’importe qui peut inventer un système de sécurité qu’il ne voit pas comment casser. Mais personne ne peut imaginer ce que quelqu’un de plus malin pourrait faire. Vous devez publier un système de codage pour savoir qu’il fonctionne. Vous devez dire au plus de monde que possible comment il fonctionne, pour qu’ils puissent taper dessus avec tout ce qu’ils ont, et en éprouver la sécurité. Plus longtemps ça passe sans que quelqu’un ne trouve une faille, plus vous êtes sûr. Et c’est comme ça que ça marche, aujourd’hui. Si vous voulez être en sécurité, vous n’utilisez pas un code qu’un petit génie a sorti la semaine dernière. Vous utilisez un truc que les gens ont utilisé depuis aussi longtemps que possible sans que personne ne trouve comme le casser. Que vous soyiez une banque, un terroriste, un gouvernement ou un adolescent, vous utilisez les mêmes systèmes de cryptage.  Si vous essayez votre propre code, il y a un risque que quelqu’un ait trouvé une faille qui vous aurait échappé et serait votre Turing, déchiffrant tous vos messages “secrets” et se marrant en lisant vos ragots stupides, vos transactions financières et vos secrets militaires. C’est pourquoi je savais que la crypto me protègerait des écoutes, mais je n’étais pas capable de m’en tirer avec des histogrammes.

Je suis sorti du BART, j’ai agité ma carte devant le tourniquet et j’ai mis le cap sur la station de la 24ème rue. Comme d’habitude, il y avait plein de types chelous qui zonaient dans la station, des ivrognes, des fondus de Jésus, des Mexicains sombres qui regardaient le sol fixement, et quelques gamins des gangs. J’ai gardé mon regard loin d’eux en arrivant aux escaliers et je suis remonté d’une foulée rapide vers la surface. Mon sac était maintenant vide, il n’était plus boursoufflé par les disques de ParanoidXbox que j’avais distribués, et j’avais les épaules légères et le pas alerte en arrivant à la rue. Les prêcheurs étaient toujours au travail, exhortant en espagnol et en anglais à propos de Jésus et ainsi de suite. Les vendeurs de lunettes de soleil de contrefaçon était partis, mais ils avaient été remplacés par des types qui vendaient des chiens robots qui aboyaient l’hymne national et levaient la patte si on leur montrait une photo d’Oussama Ben Laden. Il se passaient certainement des trucs intéressants dans leurs petits cerveaux, et j’ai pris not mentalement d’en acheter un ou deux et de les démonter plus tard. La reconnaissance de visages était assez nouvelle pour les jouets, n’ayant que récemment franchi le pas de l’utilisation militaire à l’emploi dans les casinos pour repérer les tricheurs et à la police.

J’ai commencé dans la 24ème rue en direction de Potrero Hill et de chez moi, en roulant les épaules et reniflant l’odeur des burritos qui s’échappait des restaurant qui me faisait penser au dîner. Je ne sais pas pourquoi il s’est trouvé que j’ai donné un coup d’oeil par-dessus mon épaule, mais c’est ce qui s’est passé. Peut-être que c’était un soupçon de mon sixième sens subconscient, ou un de ces trucs. Je savais que j’étais suivi. Il y avait deux types blancs et massifs avec des petites moustaches qui me faisaient penser aux flics ou aux motards homosexuels qui roulaient sur Castro dans tous les sens, mais les homosexuels sont généralement mieux coiffés. Ils avaient des blousons couleur du ciment et des jeans, et leur ceinture était couverte pour leurs vêtements. J’ai pensé à tout ce qu’un flic trimbale dans sa ceinture, au ceinturon multi-fonctions que le type du Département de la Sécurité Intérieure avait porté dans le camion. Les deux types portaient des écouteurs Bluetooth avec des micros. J’ai continué à marcher, le coeur battant. Je m’étais attendu à ce que le DSI comprenne ce que je faisais. J’avais pris toutes les précautions possibles, mais Coupe-à-la-Serpe m’avait prévenu qu’elle me surveillerait. Elle m’avait dit que j’étais en sursis. J’ai réalisé que j’avais attendu de me faire arrêter et ramener en prison. Pourquoi pas ? Pourquoi est-ce que Darryl devrait moisir en prison et pas moi ? Qu’est-ce que j’avais pour ma défense ? Je n’avais même pas eu les tripes pour raconter à mes parents — ou aux siens — ce que nous était réellement arrivé.

J’ai allongé le pas et j’ai fait un inventaire dans ma tête. Je n’avais rien de compromettant dans mon sac. Rien de trop compromettant, en tout cas. Il y avait le crackage qui permettait à mon SchoolBook de faire tourner des programmes de chat et ce genre de choses, mais la moitié des gens de l’école avait ça. J’avais changé de système de cryptage sur mon téléphone — j’avais maintenant une fausse partition qui se décodait avec un mot de passe, mais tous les trucs intéressants étaient cachés, et il fallait un autre mot de passe pour les ouvrir. La section cachée avait l’air d’être juste de bruit aléatoire — quand vous encryptez vos données, elle deviennent impossible à distinguer de bruit aléatoire — et ils ne sauraient même jamais qu’elle était là. Il n’y avait pas de disques dans mon sac. Mon laptop ne contenait rien de compromettant. Bien sûr, s’ils fouillaient ma Xbox assez longtemps, c’était game over. Pour ainsi dire.

Je me suis arrêté net. J’avais fait tout ce que je pouvais faire pour me couvrir. Il était temps de faire face à mon destin. Je suis entré dans le plus proche var à burritoset j’en ai commandé un avec des carnitas — de l’émincé de porc — avec un supplément de salsa. Tant qu’à disparaître, autant le faire le ventre plein. J’ai pris un gobelet d’horchata, aussi, une boisson glacée au riz qui a le goût d’un pudding au riz acqueux et légèrement sucré (c’est meilleur que ce qu’on pourrait craindre). Je me suis assis pour manger, et un calme profond s’est déposé sur moi. Soit j’allais me retrouver en prison pour mes “crimes”, soit non. La liberté qui m’avait été accordée depuis mon arrestation n’avait été que des vacances temporaires. Mon pays n’était plus mon ami : nous étions maintenant dans deux camps différents et je savais que je ne pourrais jamais gagner.

Les deux types sont entrés dans le restaurant alors que je finissait le burrito et que j’allais me lever pour commander des churros — des beignets frits avec du sucre à la canelle — pour le dessert. Je suppose qu’ils avaient attendu dehors et qu’ils en avaient assez de m’attendre. Ils se sont tenus derrière moi au guichet, en m’encadrant. J’ai pris mon churros des mains de la jolie vendeuse et l’ai payée, et j’ai mordu rapidement à deux reprises dans la pâte avant de me retourner. Je voulais manger au moins un petit peu de mon dessert. Ca pouvait être le dernier dessert que j’aurais avait très, très longtemps. Et alors je me suis retourné. Ils étaient tellement près que je voyais les taches de rousseur sur les joues de celui de gauche, et la morve dans le nez de l’autre.
— “Excusez-moi”, j’ai dit en poussant pour me faufiler en eux. Le morveux s’est positionné pour me bloquer.
— “Monsieur”, il a dit, “Pouvez-vous venir avec nous ?” Il a fait en geste vers la porte du restaurant.
— “Désolé, je mange”, j’ai dit en bougeant de nouveau. Cette fois-ci, il a mis sa main sur ma poitrine. Il respirait rapidement par le nez, ce qui faisait bouger sa morve. Je suppose que je respirais fort moi aussi, mais c’était difficile à dire avec les battements de mon coeur. L’autre a déboutonné un pan de son blouson pour dévoiler en insigne du Département de la Police de San Francisco.
— “Police”, il a dit, “veuillez nous accompagner”.
— “Laissez-moi prendre mes affaires”, j’ai dit.
— “Nous nous occupons de ça”, a-t-il répondu.
Le morveux a fait un pas qui l’a amené directement sur moi, son pied entre les miens. On fait ce genre de choses dans certains arts martiaux. Ca vous permet de savoir comment l’adversaire répartit son poids et s’il se prépare à bouger. Mais je n’allais pas partir en courant. Je savais que je ne pouvais pas faire la course contre le destin.