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-Les autorités de l'ARB annoncent une avancée majeure dans la lutte contre la nouvelle vague de terrorisme qui sévit actuellement en Afrique. L'ouest du Sahara a été le théâtre cette nuit de nombreuses arrestations de trafiquants d'armes qui projetaient des actions meurtrières en Europe. Ils ont été immédiatement placés en détention dans des bateaux prisons qui croisent sur les eaux internationales de l'Atlantique où, rappelons-le, la convention de Genève ne s'applique pas.
Le journaliste continuait d'ânonner son discours formaté et consensuel, mais j'avais déjà arrêté de l'écouter. J'imaginais que ses patrons étaient satisfaits de lui, ils allaient voir leur financement reconduit l'année suivante. La carte météorologique me rendit soudain plus attentif. Ce vendredi de septembre 2042 s'annonçait pluvieux et je finis mon petit déjeuner avec le moral encore plus bas qu'à mon réveil, quand la perspective d'aller travailler l'avait déjà sauvagement attaqué. Quelques minutes plus tard, j'étais sur le chemin du cabinet d'avocats qui m'employait et comme prévu, la pluie s'abattait avec un appétit joyeux sur le sol goudronné. En regardant une des dernières voitures du quartier qui n'étaient pas encore tombées en ruine passer sur la chaussée mal entretenue, je me demandais si j'avais vraiment choisi le bon métier.
J'étais né en 1990 et après une fade adolescence passée à découvrir que je n'avais aucun don artistique, je m'étais inscrit en 2009 à la fac de droit, en me spécialisant dans la propriété intellectuelle. Curieuse ironie, c'était justement en 2009 que l'ARB avait été fondée par de grandes entreprises de technologie et d'informatique pour se protéger. Au fil du temps, l'Autorité de Régulation des Brevets avait pris de l'importance et ma profession était devenue très demandée. Et même après vingt-cinq ans de service, ils ne s'étaient toujours pas lassés de moi et je m'étais construit une situation confortable et respectable. Quand j'arrivai devant les grandes portes en verre du siège de l'ARB à Paris, j'étais rasséréné : je n'avais peut-être pas choisi le métier qui m'intéressait, mais au moins, j'avais réussi ma vie.
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Le soleil se couchait déjà, cédant sa place à l'habituel tapis étoilé et ma semaine s'achevait elle aussi. Une semaine à combattre le crime et notamment les violations de brevets. Comme à chaque fois, j'essayais de me convaincre que mes activités étaient justes et que je combattais pour la loi et la morale dans ce monde troublé et chaotique. Mais c'était comme d'habitude un échec et un goût de cendre vint me hanter la gorge. La plupart des gens n'appréciaient pas mon travail et la direction que la société avait prise. Ils se tournaient avec nostalgie vers le passé, vers ces temps heureux ou l'ARB n'existait pas encore et je ne pouvais pas vraiment leur donner tort. Mais le changement avait été tellement progressif que personne ne s'y était opposé, sauf quelques paranoïaques marginaux que nul n'écoutait car ils étaient hostiles à tout et n'importe quoi.
Je rentrais chez moi en marchant lentement, quand soudain, trois hommes tombèrent du ciel en parachute. Ils se précipitèrent vers un enfant qui jouait au bord du trottoir et qui ne semblait pas particulièrement porté sur le terrorisme ou la fabrication de bombes sales. Mais ce n'était pas l'opinion des trois agents qui, après l'avoir assommé d'un lourd coup de matraque, l'amenèrent avec eux dans leur hélicoptère. Il n'en fallait pas plus pour que mon malaise naissant se transforme en un franc dégoût. Mais à qui en parler, à qui confier ses soupçons ? Personne n'était vraiment digne de confiance et la délation était plutôt bien récompensée.
Évidemment, il en fallait plus pour empêcher un honorable citoyen et sa conscience bien tranquille de manger ou de dormir, et le week-end s'écoula avec une imperturbable régularité. Et ce n'était pas l'arrestation arbitraire d'un garçonnet de dix ans au début de la nuit qui allait m'empêcher de retourner travailler ce lundi. Comme tous les autres jours, j'arrivai à mon bureau pour traiter de nouveaux cas. Mais une angoisse me saisit, avais-je déjà contribué indirectement à la capture similaire d'un jeune enfant ? Alors que cette question menaçait de me hanter pour le reste de la journée, Mike arriva avec son sourire jovial, qu'il semblait toujours traîner avec lui. C'était un chauve bedonnant et grisonnant mais il s'habillait avec soin et distinction, ce qui lui conférait paradoxalement une sorte de grâce éthérée.
-Tu connais la nouvelle ? L'ARB a obtenu une nouvelle classe de brevets à défendre.